[Enfance #5] fait cohabiter vingt minutes dans le casque :
- le poème des Illuminations par lequel Rimbaud demande qu’on lui loue un tombeau
- l’enregistrement « comme si vous y étiez » de l’ambiance de ce caveau (vingt-six ans après sa découverte)
- une audiodescription de la visite par un familier des lieux.
- un grand type en bottes
J’ai commencé à fréquenter Rimbaud à Besançon, vers 1986. Le bouquin de poche que je trimballe encore provient d’un bouquiniste du quartier Battant.
Je me souviens l’avoir beaucoup fréquenté, à l’époque. Sans tellement se parler en réalité, car je me souviens surtout que je ne savais pas quoi lui dire. C’était pénible.
Néanmoins, il a dû rester de ces heures passées sur l’île du pont de la République une possibilité de lieu bizarre. Au fil des ans, outre la silhouette amputée d’un Rimbaud déjà barré de chez les morts, j’y logeais une horloge du Limousin, une petite boite en fer plus ou moins capable d’ouvrir des portes, un métro biélorusse infoutu d’atteindre la surface et semble-t-il destiné à errer sous la ville.
Ces dépôts se sont organisés à mon insu. J’en ai été averti après coup, disons. Je me demande quelle familiarité réunit ces moments.
On m’a récemment signalé que des travaux de délivrance étaient menés du côté du pont Battant pour déterrer le vieux train. C’est bien urbain.
Il se trouve que la pièce où j’ai logé ces souvenirs, la crypte, si l’on veut, est accessible en septembre, au moyen de casques stéréophoniques.
” Nous savons comment cela fonctionne, les associations d’idées, les découvertes qui se déguisent en clins d’œil. Ces petits détails surgissants qu’on appelle signes ou heureux hasards et qui nous feraient presque croire aux cartomanciennes ou au destin semant des petits cailloux devant nous pour nous guider […] Ne le fut-on pas nous même audio guidés hier soir l’espace d’une promenade à la nuit tout juste tombée ?
Partis, coiffés de nos drôles de serres-têtes à poil. 25 min de sensations détonnantes. Au cœur de la ville à suivre un parcours fléché, des voix, des sons, une histoire qui très vite n’a plus d’importance tant l’ivresse de l’ambiance et de l’univers sonore est puissante. Les pas accélèrent ou ralentissent. Tous deux les poings dans nos poches alors qu’il est question de Rimbaud.
Le trouble nait du fait qu’on est sans cesse en train de se demander d’où viennent ces bruits, de se retourner pour voir si une voiture nous suit, si les voix ne sont pas celles de passants. Une intériorité suggérée par le propos, la mise en son particulière, au milieu d’un espace urbain qui s’en trouve modifié, réinventé. Se surprendre assis sur un banc comme déposés là, audioguidés. Le timing parfait, l’arrivée sur le fil chez Urbain [le point de départ, NDR]).
J’ai vu passer autre chose aussi, tôt ce matin mais de façon presque subliminale, impossible de m’en souvenir de façon assez précise pour retrouver sa piste, le rattraper et l’associer à cet envoi. Qui sait, il émergera peut-être un jour, sous une autre forme. ” Amélie, une auditrice.
2012, 21’00
[Enfance #5]
En écoute du 6 septembre au 6 octobre 2012 durant le festival Bien Urbain, Besançon.
Avec les voix de Morgan Touzé (la passante), Patrick Lizana (le grand type), Pascal Rueff (l’audiodescripteur).
Violon alto, Vladimir Kunista.
Production L’Agence du Verbe / Diffusion Elektrophonie & Juste Ici