Déambulation sous casque pour le Festival Bien Urbain, Besançon

En voiture

Pour le tournage de [Parade], quand nous avons invité les potes à venir casser quelques voitures à la masse (ou à la hache), leurs réactions furent réjouies. Il s’agissait bien sûr de voitures déjà mortes, mais l’idée d’aplatir en toute impunité ces symboles d’un certain servage avait quelque chose de jubilatoire.
Au final, il se trouve que les vitres ne sont pas si nombreuses (les phares non plus), que le pare-brise s’effondre mollement et que la structure d’une voiture est conçue pour encaisser des chocs d’une autre trempe. Après quelques minutes d’acharnement, vous constatez que la chose avait plus d’intérêt dans le fantasme. Si la voiture est une vieille allemande, l’expérience est même assez frustrante. Rien à voir avec ce que nous montre le cinéma.

Les fenêtres, les lavabos, les portes et les téléviseurs se défoncent de meilleure grâce, heureusement.

En prison

Pour cette proposition de déambulation dans un vieux quartier de Besançon (rues pavées et façades en pierre), il fallait trouver une acoustique de tournage compatible, entendu que je n’aurais pas l’autorisation d’aller fracasser bidets et bagnoles à deux heures du matin sous des fenêtres bourgeoises.

S’il est assez facile de trouver un sol dur, il fallait l’encadrer de parois parallèles : où trouver une rue déserte ? J’ai souvent pensé à monter un studio dans la zone de Tchernobyl, où le silence est incomparable, et l’on nous a proposé, c’est vrai, d’acheter la moitié de la ville fermée de Poliské (la foi nous a manqué, avant l’argent).

C’est finalement dans l’ancienne prison de Guingamp, désaffectée, que je trouvais l’équivalence nécessaire : une longue cour rectangulaire au sol pavé, bordée des façades à cellules, avec coursives. Le tout protégé de la rumeur de ville par les murs extérieurs de six ou sept mètres. De fait, de nuit, le niveau de bruit convenait. La voiture, malheureusement, n’y rentrait pas et c’est dans une friche qu’elle se fit démolir.

J’ai toujours besoin de silence dans nos productions, mais j’y tenais particulièrement pour [Parade], parce que l’espace-temps de cette pièce est intérieur, détaché de la réalité commune. La réalisation commute entre l’écoute intra-cranienne (le son diffusé par le casque est entendu dans la tête) et l’externalisation binaurale (le son est entendu hors du casque). Les voix intérieures ont été enregistrées dans la grande chambre sourde d’Orange Labs, en mono, et les scènes binaurales, de nuit, dans la prison. J’étais donc bien content d’en avoir la clé.

En ville

Ici, la pièce binaurale n’est pas synchronisée avec la déambulation de l’auditeur. Les temporalités sont similaires (une vingtaine de minutes de marche) et les points de rencontre ne manquent pas, mais le dispositif de diffusion ne permet pas d’asservir l’allure de marche au scénario (comme avec Chimera). L’objectif est de parcourir les rues avec une bande-son décalée. Très décalée même.

Quand j’écoute dehors une musique (composée par quelqu’un qui ne me connaît pas sans savoir ni où ni quand je l’écouterai), l’écoute influe sur ma perception des lieux. Cette musique est-elle tonique, grandiose, planante ? Le casque est-il isolant, ouvert ? L’influence n’est pas la même.

[Parade] est une pièce cash. Je l’aime bien. Elle profite des synchronicités plus ou moins fortuites de la déambulation pour accrocher davantage l’auditeur. Elle se sert de la déambulation dans le quartier réel pour lui piquer des points d’accroche : les sols durs, les vitrines commerçantes, la petite place où débouchent encore quelques voitures. Elle inscrit son décalage, son discours trash en piratant les autres sensations (réelles) de l’auditeur, son contact avec le sol, son environnement visuel.

Bien entendu, il suffit d’ôter le casque pour stopper ce détournement, comme le dit d’ailleurs l’un des personnages. Je n’ai vu personne le faire.

En résumé

[Parade] fait cohabiter vingt minutes dans le casque :

  • le poème éponyme des Illuminations par lequel Rimbaud chevauche une ruée (“J’ai seul la clé de cette parade sauvage…”)
  • la dégradation dans l’espace public de divers mobiliers
  • une lettre de candidature à l’Examen Moyak, entretien psychotique pour l’embauche en zone irradiée (Nouvelle Agence Coloniale, vers 2015)

” Nouvelle Agence Coloniale croit qu’il n’est pas nécessaire d’aller se préparer sur Mars à des conditions de vie dégradées et dépoussière le vieux principe de terra nullius : les États ne savent plus quoi faire de leurs accidents ? Nouvelle Agence Coloniale les rachète. “

[Parade] a la fonction d’un prologue : la pièce annonce l’examen Moyak, spectacle durant lequel un chômeur est susceptible de gagner un job. La pièce est une candidature et une publicité.

2013, 20’00
[Parade]

Avec Morgan Touzé (la speakerine), Alfred Tomosi (l’âme), Pascal Rueff (le candidat), Eric Nathié, Patrick Lizana, Mickaël Lemare, Laurent Feichter et Jean-Luc Le Meur (les gros bras)
Musique : Christophe Ruetsch / Daf iranien : Gaëtan Samson
Avec le précieux concours du Service Culture de la Ville de Guingamp

Coproduction Elektrophonie & L’Agence du Verbe / Diffusion Juste Ici

[Parade] (FR) – extrait
Catégories : Déambulations