Christophe Correc enregistre Dedans, son spectacle immersif.
Une bulle
Dedans est un ensemble de pièces pour accordéon diatonique et looper, joué en hexaphonie autour du public. Mais je laisse la parole à Christophe :
Au départ de Dedans, il y a l’envie très forte de la bulle sonore. Quand je joue, je suis pris dans le son de mon instrument et je voulais proposer cette expérience au public.
Naturellement, je me suis tourné vers des techniques de spatialisation du son. Les compositions du spectacle ont toutes été pensées dans ce lien à l’espace :
– en utilisant le live-looping c’est-à-dire l’enregistrement et la diffusion de boucles musicales créées et jouées en temps réel
– et en spatialisant les boucles autour du public : Dedans est interprété en hexaphonie.
L’idée de réaliser un album est arrivée tard dans ce processus créatif, notamment parce que je trouvais dommage de réduire la bulle sonore à deux enceintes stéréo et une écoute frontale. Mais les demandes répétées m’ont incité à réfléchir à une solution originale.
En binaural
J’avais rencontré le binaural chez Pascal Rueff, à l’occasion d’une représentation de l’Ile de T. Un très beau souvenir, enveloppant, intrigant, une espèce de mirage sonore. Une technique envoûtante, bien que très naturelle, ici mise au service d’un texte et d’une proposition artistique unique et remarquable au sens où je ne crois pas que quiconque ayant vécu cette expérience d’immersion sonore n’en soit sorti quelque peu chahuté.
Une fois décidé à enregistrer Dedans, j’ai donc souhaité que l’album soit proposé en binaural pour permettre à l’auditeur de retrouver avec un casque la bulle sonore du spectacle.
Mais je fais partie de ces gens qui restent attachés au CD. Et puis, je voulais présenter un bel objet. J’ai donc proposé à Pascal de réaliser deux versions de l’album : une binaurale sous forme de fichiers numériques accessibles depuis le web et une stéréo, disponible sous forme de CD. Il a accepté, j’en suis encore ravi !
Prise de son
C’est là qu’a commencé le travail technique sur mon set de spectacle (les micros, le logiciel Logelloop que j’utilise pour le live-looping et la spatialisation, les différents éléments sonores que j’utilise…), la réflexion sur comment et où enregistrer, dans quel ordre, adapter ou non la musique du spectacle pour l’album…
C’était la première fois que j’enregistrais en binaural.
Nous avons décidé d’enregistrer comme en « live » c’est-à-dire moi et le système de diffusion en même temps mais dans deux pièces différentes de façon à pouvoir affiner le son et mixer librement. Je ne me suis pas rendu compte tout de suite des exigences que cela soulevait. Nécessité d’une ultra-précision des boucles (en live le musicien mène la danse et arrondit les angles), nouveaux micros sur l’accordéon pour un meilleur son sur l’album, plus aéré mais aussi avec plus de détails dans le son qui pouvaient parasiter la création et la transformation ultérieure des boucles, et bien d’autres petites choses sympathiques encore.
Nous avons travaillé au centre culturel Startijin à Pommerit Le Vicomte. Le système de diffusion, six enceintes et un sub, a été mis en place dans une grande salle, un mannequin de prise de son binaural au centre du dispositif. Moi, installé dans une salle attenante avec un mannequin de prise de son binaural et deux couples de micros pour la prise de son stéréo et pour l’enregistrement des boucles en temps réel.
Je garde un bon souvenir de ces conditions de travail. Enregistrer en binaural a été très confortable. Dans mon casque, j’avais le retour des deux mannequins, j’éprouvais les mêmes sensations qu’en concert.
Une fois les systèmes d’enregistrement réglés, nous avons repris mon set live, morceau par morceau, et optimisé pour la restitution binaurale le placement dans l’espace des boucles diffusées par les haut-parleurs.
Nous avons également travaillé sur le déplacement des sources sonores, que ce soit des grands mouvements circulaires ou pour donner la sensation d’un déplacement léger des boucles diffusées. Ce travail a été réalisé à l’aide de macros dans Logelloop. Par exemple, pour certaines boucles, le son ondule de part et d’autre du haut-parleur sur des tempi proportionnels à la durée d’une boucle et sur des arcs variants de 5° à 20°. Beau casse-tête à réaliser mais qui a permis de rendre la diffusion « vivante ».
Post-prod
Nous avons enregistré en deux sessions de trois jours, une en août, l’autre en octobre 2019. Nous avons profité du confinement du printemps 2020 pour mixer, par cloud interposé. Nous avions du temps et nous en avons profité pour bien faire.
Nous avons démarré par le mixage binaural. Sur la fin, nous avons fait des tests d’écoute sur enceintes pour voir (ou pour écouter plutôt…) comment ça sonnait… Y avait-il nécessité à réaliser un mixage stéréo ?
J’ai soumis ces versions à des amis musiciens. Il y avait quelques distorsions de l’espace et des timbres dues au repliement de l’espace en deux points, mais tout le monde s’accordait à dire que ça pouvait fonctionner. Pascal s’est remis au travail, a peaufiné tout ça et hop !
Finalement nous avons deux mix binauraux : un « pur beurre » pour l’écoute au casque et un second, équalisé pour optimiser l’écoute sur haut-parleur.
Pendant le mixage, Pascal et moi avons beaucoup échangé sur les notions de dynamique. Pour moi, dans mon jeu d’accordéoniste, elle est essentielle. Je trouvais ça important qu’on la ressente sur l’album. Nous nous sommes intéressés à la norme R128 (-23 LUFS) imposée à la radio, à la télé, mais pas du tout utilisée en musique. Il a fallu trouver un compromis entre un niveau moyen « normal » (par normal, j’entends le niveau sonore le plus courant pour un disque) et une dynamique importante. J’ai fait le choix de la dynamique, d’autant plus logique qu’elle est aussi très sensible lors d’une écoute binaurale.
Et voilà, les deux versions sont fin prêtes en juin. L’album, lui, sortira en novembre 2020 après une campagne de financement participative réussie.
Pour en savoir plus sur Christophe Correc
Quelques extraits de la version binaurale